Les Structures Dermiques

Introduction:

Point de départ : Dans l’homochromie variable, les animaux arborent des couleurs différentes selon le milieu qui les environne.

Hypothèse : Les animaux doués d’homochromie variable possèdent des cellules spécifiques dans leur peau qui leur permettent d’arborer différentes couleurs.
Pour vérifier cette hypothèse, nous avons observé de la peau de seiche dont la structure est semblable à celle de chaque individu présentant des capacités d’homochromie variable. Nous avons alors distingué la présence de cellules appelées chromatophores de couleurs différentes à la surface de la peau, plus précisément dans le derme. Dans la suite de notre TP, nous avons vu que celles-ci se contractaient ou se rétractaient plus ou moins. La couleur qui leur correspondait était ainsi plus ou moins intense, assurant alors un changement de couleur de l'ensemble de la peau.
Nous allons ainsi nous intéresser à ces cellules et plus globalement à la structure du derme.
Le derme est constitué de plusieurs couches. Les 3 premières couches du derme sont composées de chromatophores du grec khroma (couleur) et phoros (porter). Ces chromatophores peuvent être divisés en trois catégories.


I Les lipophores :

On trouve dans la première couche du derme des animaux doués de mimétisme, un certain type de chromatophore : les lipophores. Ceux-ci sont les chromatophores les plus présents dans la peau de l’animal. Ce sont des cellules élastiques contenant des pigments responsables de la couleur de l’animal. Ainsi, on trouve dans cette première couche des xantophores, contenant des pigments jaunes appelés ptéridine mais aussi des érythrophores, composés de pigments rouges-orangés, les caroténoïdes.

Nous allons maintenant nous intéresser à ces deux pigments, la ptéridine et les caroténoides.

La ptéridine, contenue dans les xantophores, est un pigment d’apparence jaune. Il est synthétisé notamment via l’action  d’une enzyme spécifique.

Les caroténoides regroupent plus précisément deux  autres types de pigments : les carotènes et les xantophylles. On retrouve par exemple dans les carotènes le pigment appelé β-carotène. Malgré leurs différences légères, les pigments appartenant aux groupes des caroténoides sont tous de  couleur rouge-orangée. Ils sont, contrairement à la ptéridine, contenus dans de nombreux aliments et ainsi facilement assimilables par les organismes. Ils sont alors transportés dans les érythrophores. Cette origine alimentaire des caroténoides a été démontrée pour la première fois en élevant des grenouilles vertes qu’on a soumis à un régime alimentaire à teneur faible en carotène. La pauvre teneur en carotène dans l'alimentation de la grenouille a ainsi conduit à l’absence de pigment rouge-orangé dans les érythrophores. Du fait de l’absence des caroténoides, dont la fonction est d’absorber les radiations bleues comme nous allons le voir maintenant, la grenouille est apparue bleue au lieu de verte.

A partir des formules topologiques ci-contre de la molécule de ptéridine et de celle du Bêta-carotène, on peut voir que ces molécules comportent de nombreuses doubles-liaisons conjuguées, c’est-à-dire des alternances de doubles et de simples liaisons. Elles forment des chromophores : elles sont donc capables d’absorber des longueurs d’ondes de radiations électromagnétiques autour d’une longueur d’onde λmax.
Plus la molécule comporte un nombre de doubles liaisons conjuguées élevé, plus sa longueur d’onde d’absorption maximale sera élevée. Si ce nombre est suffisamment important, les molécules absorbent des radiations dont les longueurs d’ondes appartiennent au domaine du visible. La matière qui les contient apparait donc colorée. Leur couleur correspond alors aux radiations complémentaires aux radiations absorbées.
Les compositions chimiques des molécules sont donc responsables de leur couleur. Elles permettent aux pigments d'absorber certaines radiations et d'en diffuser d'autres.


La ptéridine, de formule C6H4N4, présente 5 liaisons conjuguées tandis que la molécule de Bêta-carotène, de formule C40H56, en présente 11. Cependant, malgré leur nombre différent de liaisons conjuguées, les deux molécules absorbent à peu près les mêmes radiations du fait de la présence de 4 atomes d’azote qui sont des auxochromes dans la molécule de ptéridine. Ainsi, les spectres d’absorption des deux molécules sont semblables. Ces spectres montrent que les deux molécules absorbent dans le domaine du visible les radiations comprises globalement entre 380 et 540 nm. Ainsi, on peut en déduire, en comparant ces spectres à celui de la lumière blanche que la ptéridine et le bêta-carotène absorbent les longueurs d’ondes correspondant aux radiations violettes, bleues, indigo, et vertes. Elles diffusent ainsi les radiations colorées complémentaires à celles-ci qui sont donc le jaune, l’orange et le rouge.  On est dès lors en droit de se demander, étant  donné que la ptéridine et le bêta-carotène absorbent et diffusent les mêmes radiations, pourquoi ces deux pigments ne sont pas de la même couleur, l’un étant jaune et l’autre rouge-orangé. Cette différence d’apparence malgré des spectres d’absorptions semblables est en réalité due à la présence de 4 atomes d’azote dans la molécule de ptéridine. 


Ces deux types de chromophores étant relativement proches, on les a regroupés en un seul groupe appelé « lipophores ». Dans certains cas, il arrive qu’un xantophore et qu’un érythrophore soient une même cellule identique contenant les deux pigments respectifs de chacun des lipophores. La cellule prendra alors le nom de xantophore ou d’érythrophore selon le pigment présent en plus grande quantité.

On peut noter que l'intensité de la couleur des lipophores est due à leur contraction plus ou moins forte. En effet, ceux-ci sont entourés de muscles qui se tendent ou se détendent. Lorsque les muscles se tendent, les lipophores se contractent, et ainsi les pigments qu’ils contiennent se regroupent au centre de la cellule formant un minuscule point qui n'est parfois plus visible à l'oeil nu.

Alors, pour montrer que la couleur de la peau dépend de la contraction plus ou moins importante des lipophores, nous avons réalisé une expérience suivante de mise en évidence.
A l’échelle de l’animal, ce phénomène s’explique par le schéma suivant.

© Aquarium La Rochelle
Ici, les lipophores sont plus ou moins contractés selon certaines zones de la peau et ainsi la couleur de celle-ci est différente selon ces zones.

Par ailleurs, la vitesse d'expansion et de contraction des lipophores est extrêmement variable. En effet, elle est très lente chez les crevettes tandis qu’elle se fait au contraire chez la seiche en quelques dixièmes de seconde comme on peut le voir sur la vidéo ci-contre.





II Les schemochromes :

La seconde couche du derme est quant à elle constituée de schemochromes, des chromatophores d’un autre genre, car dépourvus de pigments. Les schemochromes regroupent à la fois les iridophores et les leucophores, qui sont globalement très proches. Ils jouent un rôle considérable dans la relation entre la lumière et les chromatophores que allons aborder maintenant.

Les iridophores, également appelés guanophores, sont des cellules qui réfléchissent la lumière. Ils sont composés de lames de guanine cristallisée qui provient de la destruction des acides aminés. Ces chromatophores particuliers créent, en réfléchissant la lumière qui n’est pas absorbée par les lipophores, l’effet Tyndall ou diffusion de Rayleigh produisant alors des lumières iridescentes bleues et vertes, selon leur orientation.

Selon la contraction des lipophores, jouant un  rôle de filtre coloré, une plus ou moins grande partie de la lumière n'est ni absorbée ni diffusée et atteint directement les iridophores. On peut alors assister à plusieurs cas de figure selon la taille des lipophores.

•    Soit les muscles des lipophores sont totalement détendus, alors leurs pigments sont extrêmement répandus. Ils absorbent et diffusent à la fois toute la lumière. Dans ce cas, celle-ci n’atteint pas les iridophores et donc ces derniers n'ont aucun rôle dans la coloration de la peau de l'animal.

•    Soit les muscles des lipophores sont quelque peu détendus, alors leurs pigments sont moyennement répandus. Ils absorbent et diffusent dans le même temps une partie de la lumière. Dans ce cas, l'autre partie de la lumière qui n'est ni absorbée, ni diffusée par les lipophores atteint directement les iridophores. Ces derniers reflètent cette lumière et lui donnent une couleur allant du bleu au vert selon leur inclinaison. Les lipophores jouent alors à nouveau leur rôle de filtres. Ils absorbent la lumière réfléchie par les iridophores qui les atteint. L’autre partie cette lumière réfléchie, ne passant pas par les lipophores, n’est pas absorbée. La couleur de l'animal est alors le résultat de la synthèse additive entre cette lumière reflétée par les iridophores et celle diffusée par par les lipophores.

•    Soit les muscles des lipophores sont totalement contractés. Leurs pigments sont alors concentrés et quasiment invisibles. Presque aucune lumière n'est absorbée ni diffusée par les lipophores et toute la lumière atteint les iridophores. Ces derniers la réfléchissent en lui donnant une couleur iridescente bleue ou verte. La couleur de l'animal est donc totalement due aux iridophores dans cette circonstance.

Par ailleurs, il existe également d’autres schemochromes appelés leucophores, présents chez plusieurs espèces de poissons et de céphalopodes. Ceux-ci sont situés plus profondément dans le derme et sont à l’origine de la couleur blanche et de l’éclat de la couleur réfléchie. Ils fonctionnent de la même manière que les iridophores.
Comme pour les xanthophores et les érythrophores, la différence entre iridophores et leucophores n'est pas toujours évidente, c’est pour cette raison qu’ils sont regroupés dans un même groupe : les schemochromes.


III. Les mélanophores :

Enfin, la dernière couche du derme est constituée de mélanophores. Ces cellules contiennent  un pigment noir-brun appelée mélanine, et plus précisément un certain type de mélanine : l’eumélanine. Celle-ci est produite à partir de tyrosine par une série de réactions chimiques accélérées par des enzymes. L'enzyme clé qui intervient dans la synthèse de l’eumélanine est la tyrosinase. On peut distinguer deux couleurs pour ce pigment : le type noir et  le type brun.

Nous allons maintenant étudier les différentes positions que peut prendre l’eumélanine. On peut supposer que selon ces positions, la lumière atteindra plus ou moins les différents types de chromatophores que l’on a vus précédemment et ainsi les couleurs de l’animal varieront.

Tout d’abord, lorsque l’eumélanine se regroupe autour du noyau du mélanophore, elle ne recouvre pas les lipophores ni les iridophores et laisse la lumière les traverser.  Dans ce cas, les pigments contenus dans les lipophores absorbent certaines longueurs d’ondes et diffusent les longueurs complémentaires à celles-ci. La peau de l’animal résulte alors de la synthèse additive entre les radiations diffusées par les pigments contenus dans les lipophores, c’est-à-dire des radiations jaunes, orangées et rouges, et celles réfléchies par les iridophores, qui sont bleues ou vertes grâce à l'effet Tyndall comme nous l'avons expliqué plus haut.

Cependant, lorsque l’eumélanine recouvre les iridophores, l'effet Tyndall ne s’applique pas et seuls les lipophores et l’eumélanine jouent un rôle dans la coloration de la peau de l’animal.

Enfin, l’eumélanine peut recouvrir tous les chromatophores. L’eumélanine absorbant toutes les longueurs d’ondes du domaine du visible, la lumière n’atteint pas les iridophores ni les lipophores. Ainsi, l’animal prend la couleur de l’eumélanine, c’est-à-dire noire ou brune.



Nous allons maintenant aborder le phénomène de translocation du pigment. On a vu que chez la plupart des animaux doués d’homochromie variable ayant un derme épais, comme par exemple les reptiles, les mélanophores forment avec les autres chromatophores une structure tridimensionnelle.

Cependant, chez la plupart des espèces possédant un derme relativement fin, comme la majeure partie des céphalopodes, les mélanophores sont plats. Ils recouvrent une grande surface ainsi que les autres chromatophores. Les mélanophores fonctionnent alors de la même façon que les lipophores et l’eumélanine qu’ils contiennent, au lieu de se répandre dans le derme comme on l’a vu précédemment à l’aide de fins canaux et de recouvrir plus ou moins les différentes couches de chromatophores, se répand dans les mélanophores. Ceux-ci masquant les autres chromatophores, l’eumélanine peut à son tour recouvrir tous les pigments et ainsi absorber toutes les radiations.

Par ailleurs, il est bon de préciser que les colorations les plus rapides sont celles dues à l’eumélanine car c’est donc le seul pigment mobile dans le tégument.

Conclusion :

Nous avons donc vu que le changement de couleur au niveau anatomique est un phénomène extrêmement complexe, car il résulte de plusieurs facteurs :

•    D’une part, l’action des lipophores qui diffusent plus ou moins une partie de la lumière, notamment les radiations correspondant aux couleurs jaunes, oranges et rouges.

•    D’autre part, l’action des schemochromes qui, selon la contraction plus ou moins forte des lipophores, réfléchissent plus ou moins une partie de la lumière en couleurs vertes ou bleues pour les iridophores, et blanches éclatantes pour les leucophores.

•    Enfin, l’action des mélanophores, et surtout de celle de l’eumélanine qu’ils contiennent  qui peut prendre différentes positions et ainsi réguler les effets des autres chromatophores.

Si l’eumélanine n’intervient pas, la couleur de la peau de l’animal est donc le résultat de la synthèse additive de la lumière diffusée par les lipophores et de celle reflétée par les iridophores.


On pourrait alors penser que cette multiplicité des phénomènes, conduisant à la couleur de la peau des animaux doués d’homochromie variable, permet à ces derniers d’obtenir des combinaisons de couleurs extrêmement variées.  Pourtant, les animaux utilisant l’homochromie variable ne peuvent pas prendre tous les motifs, ni toutes les couleurs et donc toutes les apparences possibles. Les photos ci-contre de seiches nous le montrent. Ces animaux sont de la même espèce mais présentent des motifs différents. En effet, en menant des expérimentations sur des seiches à l’Aquarium de la Rochelle, nous avons remarqué que chaque individu possède son propre motif où les proportions de chromatophores dans les différentes zones de son corps varient. Ainsi, un caméléon tacheté ne pourra pas devenir rayé et inversement, par exemple. Le mythe du caméléon qui devient quadrillé noir et blanc lorsqu’il est sur un damier est donc totalement faux.

Par ailleurs, tous les animaux doués d'homochromie variable ne possèdent pas obligatoirement tous les chromatophores. Nous avons ainsi observé que les seiches sur lesquelles nous avons mené des expérimentations à l’Aquarium de la Rochelle ne pouvaient prendre que des teintes alliant le blanc, le gris, le brun et le noir. On peut alors supposer que celles-ci possèdent uniquement des mélanophores qui leur permettent simplement d'arborer une teinte plus ou moins foncée.

   Enfin, on peut noter que les animaux ayant la faculté de l’homochromie variable possèdent, dès la naissance, un « répertoire » de coloration relativement pauvre. En effet, elles ne peuvent, à leur naissance, imiter qu’un nombre limité de substrats. Ainsi, au cours de leur vie elles apprennent progressivement à adopter des apparences plus variées et plus efficaces pour se cacher dans un grand nombre de substrats.

Les animaux doués de mimétisme possèdent donc dans leur peau des cellules bien particulières leur permettant d’arborer différentes couleurs. Malgré quelques différences légères dans l’organisation et la localisation de ces cellules dans le derme, du fait par exemple de la finesse de la peau, cette structure est globalement commune à tous les animaux utilisant l’homochromie variable.


Confrontation de l'hypothèse avancée et des résultats obtenus :
 Nous avons donc confirmé notre hypothèse grâce à des recherches et à des Travaux Pratiques, notamment à travers les expériences concernant les observations microscopiques de peaux de seiche et de truite ainsi que celles que nous avons menées à l'aquarium de La Rochelle. Les animaux présentant une homochromie variable possèdent en effet des cellules spécifiques dans leur peau, les chromatophores, qui leur permettent d'arborer différentes couleurs. Ces cellules ne fonctionnent pas toutes de la même manière et sont multiples. Toutefois, ces animaux ne peuvent pas prendre toutes les apparences possibles. En effet, ils ne peuvent imiter qu'un nombre limité de substrats.
Revenir en haut de la page